La rupture conventionnelle, un outil d’apaisement
Alors que les pouvoirs publics envisagent de limiter fortement le recours à la rupture conventionnelle du contrat de travail, Arnaud Chaulet, associé au sein du cabinet Flichy Grangé avocats, explique quelles pourraient être les conséquences de ce resserrement. Interview.
Quel est le projet du gouvernement ?
Il n’est pas envisagé de supprimer purement et simplement la possibilité de recourir à la rupture conventionnelle du contrat de travail tel que cela est parfois présenté dans les medias. Le projet est plutôt de limiter le recours à la rupture conventionnelle, l’objectif affiché par les pouvoirs publics étant de mettre fin aux abus et d’éviter de faire peser sur le régime d’indemnisation chômage des situations qui ne devraient pas en dépendre (le gouvernement ayant mis en avant, en juillet dernier, une étude de la Dares selon laquelle, entre 2012 et 2017, les ruptures conventionnelles se seraient substituées, dans 75% des cas, à des démissions). Plusieurs pistes ont alors été évoquées : limitation des cas dans lesquels une rupture conventionnelle pourrait être conclue ou des catégories de salariés susceptibles d’être concernés, limitation du nombre de ruptures sur une période donnée, augmentation du forfait social à la charge de l’entreprise de 30 à 40 % des indemnités versées ou encore modification de l’indemnisation chômage susceptible d’être versée aux salariés à la suite d’une rupture conventionnelle, avec l’instauration d’un délai de carence plus important ou une durée d’indemnisation plus courte, etc.. Évidemment, selon la formule qui sera adoptée, elle n’aura pas le même effet sur les entreprises.
Qu’est-ce que cela risque d’engendrer du côté des employeurs néanmoins ?
Si la rupture conventionnelle, demandée par le salarié, a vocation à se substituer à une démission, notamment parce que le salarié a trouvé un autre travail et veut sécuriser son départ, les employeurs vont encore plus avoir tendance à refuser une rupture conventionnelle qui serait plus coûteuse pour eux. Si c’est un cas classique de rupture d’un commun accord, négociée entre l’employeur et le salarié pour diverses raisons, il est à craindre, en cas d’impossibilité de recourir à la rupture conventionnelle parce que ses conditions seront dissuasives, soit que la rupture n’intervienne pas alors qu’elle était communément souhaitée, soit que les parties recourent à un autre mode de rupture. Avec, dans ce dernier cas, à la différence de la rupture conventionnelle, le risque, pour les entreprises, de ne pas être sécurisées sur la rupture du contrat et de ne pas être garanties d’une absence de recours du salarié (la conclusion d’un accord transactionnel ne pouvant, en droit du travail, intervenir qu’après la rupture du contrat de travail, ce qui laisse place à l’aléa).
Quelles dérives pourraient être engendrées ?
J’en vois principalement deux. La première serait que les parties soient tentées de recourir à ce que certains qualifient de « licenciement arrangé », ce qui ne permettrait aucunement d’atteindre l’objectif affiché de restreindre l’accès au dispositif d’indemnisation chômage. La seconde serait que, faute de pouvoir envisager une rupture du contrat négociée et souhaitée, la rupture n’intervienne finalement pas alors qu’elle aurait été une solution souple et équilibrée. Il y aurait, dans ce cas, un risque de conflit larvé et d’enlisement de situations qui auraient pu trouver une issue négociée. Il serait dommage, de ce point de vue, de se priver de cet outil qui permet une gestion négociée, et satisfaisante pour chacune des parties, de situations parfois délicates et complexes.
Quelles autres difficultés peut-on prévoir ?
Celles inhérentes à la remise en cause d’un dispositif résultant de la volonté commune des parties ne laissant place qu’à des décisions unilatérales et non partagées. Celles inhérentes, aussi, à des procédures de rupture qui pourraient devenir plus longues et plus conflictuelles.
Existe-t-il un risque d’augmentation du contentieux ?
Je le pense. Encore une fois, la rupture conventionnelle permet d’organiser un départ dans le cadre d’une solution satisfaisante pour chacune des parties et assurant d’éviter des conflits inutiles. Si y avoir recours devient prohibitif, on peut s’attendre soit à des licenciements plus durs à accepter et sources de contentieux, soit à des situations pour lesquelles une rupture du contrat ne sera finalement pas mise en œuvre alors que les parties y aspiraient. Avec, dans ce dernier cas, le risque de tendre les relations et de multiplier les contentieux sur l’exécution du contrat de travail.
Là encore, cela serait regrettable alors qu’au-delà du fait que le dispositif de rupture conventionnelle est issu d’un accord interprofessionnel qui, en son temps, a fait l’objet d’une négociation aboutissant à un compromis, la rupture amiable du contrat de travail est un mode de rupture qui existe de longue date, avant même le dispositif de rupture conventionnelle adopté en 2008, et que s’en priver ou en réduire l’accès pourrait être préjudiciable pour chacune des parties au contrat. T