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Juristes confinés, managers confirmés

Par Eric Gardner de Beville, recruteur et consultant international, membre du Cercle Montesquieu

Pour le juriste moderne, habitué à être un « team member » actif aux côtés de ses collègues commerciaux et financiers, un stratège des « M&A deals » et un membre du Comex pour les juristes seniors, le confinement résultant du Covid-19 est à la fois un supplice et une opportunité.

Confinés chez eux pour la grande majorité, les juristes se trouvent parfois dans la position limitée et le rôle réduit qu’étaient ceux du juriste des années 1980 et 1990. Responsable des recouvrements de créances, employé réactif et non proactif, et « empêcheur de tourner en rond » pour certains, le juriste d’antan était exploité humainement et sous-exploité financièrement. Il y a donc dans le confinement dû au Covid-19 un risque de confinement du juriste dans un rôle mineur. Mais il y a aussi une réelle opportunité pour les juristes de montrer à quel point ils et elles savent être des managers confirmés.

Priorité absolue à la gestion de la crise

Nous le savons tous aujourd’hui, le Covid-19 est une crise sans précédent. A la fois sur le plan humain, économique et financier. Chômage partiel ou licenciement, rupture de relations commerciales, perte de chiffre d’affaires, la liste des conséquences de la crise est longue et va sans doute s’allonger. Le juriste a un rôle essentiel à jouer sur tous ces tableaux.

Gardien du temple, conseiller de la DG, protecteur des salariés et « team member » de la stratégie de l’entreprise dans son ensemble, le juriste est un maillon fort et indispensable de la bonne gestion de la crise du Covid-19. En interne comme en externe, le juriste doit conseiller la DG et les RH non seulement sur le déluge de lois, ordonnances et réglementations relatives au Covid-19, mais aussi et surtout sur leur impact en interne et les modifications à faire pour s’adapter.

Le juriste doit aussi conseiller sur les crises « successives » c’est-à-dire celles qui résultent ou découlent du Covid-19, par exemple les normes d’application du chômage partiel ; le confinement ou pas ; l’utilisation du portable de l’entreprise pour le télétravail à domicile ; les licenciements ; les réductions de salaire ou d’intéressement ou autres éléments financiers ; etc. 

Pour toutes ces questions, le juriste est en première ligne, selon l’expression du Président Macron. Il doit donc savoir gérer non seulement les questions techniques mais aussi les aspects humains. Il doit avoir ou acquérir rapidement les « hard skills » et les « soft». 

Management des équipes et dossiers juridiques

Cette capacité à gérer la et les situations de crise s’applique bien évidemment aussi aux équipes juridiques internes. Qu’il s’agisse d’une PME ou d’un grand groupe, le juriste gère des personnes et/ou des dossiers. 
En temps de crise, le juriste doit s’occuper de l’externe comme de l’interne, c’est-à-dire de l’entreprise en général et du juridique en particulier. Il ne peut se permettre le « luxe » de privilégier l’un et sacrifier l’autre. Les deux sont essentiels à la survie de l’entreprise en temps de crise.

La crise sanitaire actuelle, avec sa surcharge de télétravail et absences du bureau, a forcé les juristes à se focaliser sur, parfois découvrir, parfois réinventer, les méthodes de management à distance. Il est vrai que pour certaines grandes directions juridiques cela peut se résumer à appliquer en local les méthodes globales. Cela veut dire, gérer son équipe de Paris comme celle de Pékin, ou celle de Suresnes comme celle de Singapour. Ce n’est pas toujours facile ou évident.

Attitude win-win avec les cabinets d’avocats externes

La crise du Covid-19 a modifié aussi la manière de gérer les relations avec les avocats. Nombreuses sont les directions juridiques qui ont congelé les budgets externes pour le contentieux comme le conseil. Cela se comprend : si l’activité économique est arrêtée, les employés à domicile, les fournisseurs et clients au point mort, les tribunaux en sommeil, il est naturel que les budgets des cabinets externes soient eux aussi congelés.

Les juristes doivent par conséquent se « débrouiller » tout seuls. Ils n’ont pas le choix. Cette situation est aussi une excellente opportunité pour les juristes de « puiser dans leurs réserves », « se mettre le dos au mur », ou « faire du trapèze sans filet ». Les juristes d’entreprise deviennent encore plus des avocats d’entreprise.

Toutefois, juristes et avocats sont comme les deux faces d’une médaille : l’un n’est pas comme l’autre et chacun a besoin de l’autre. Cette complémentarité fait aussi la richesse du juridique en entreprise. A chacun sa spécialité et son domaine d’excellence même si en temps de crise extraordinaire le juriste doit savoir se substituer à l’avocat externe pour la gestion des dossiers de l’entreprise. Tout cela reviendra peut-être à la « normale » lors du déconfinement qui nous réserve déjà d’autres surprises pour les juristes et managers.

Eric Gardner de Béville Covid-19