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JUB : la France a vocation à devenir le principal hub mondial de la propriété intellectuelle

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Par la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI), l’Association Française des Spécialistes en Propriété Industrielle de l'Industrie (ASPI), le barreau de Paris et le Conseil National des Barreaux (CNB).

Tous les efforts de soutien à l’innovation ne sont pas vains. Certains ont même la capacité à réussir. À condition, bien sûr, d’établir les moyens économiques, structurels et juridiques nécessaires. Un sujet sur lequel l’hexagone, futur hôte de la juridiction unifiée du brevet (JUB), a un rôle à jouer, écrivent l’ASPI, la CNCPI et le CNB/Barreau de Paris.

Le constat est récurrent. Les tentatives de soutien à l’innovation aboutissent souvent à une impasse. Traité de Lisbonne au début des années 2000, soutien à la recherche française en 2009... Autant de programmes qui devaient permettre la création au sein de l’Union européenne d’un « espace de la recherche et de l’innovation » et l’augmentation des efforts de recherche à 3 % du PIB français. En vain.

Pour autant, l’histoire ne saurait s’arrêter aux déconvenues du passé. Le plan d’investissement France 2030, annoncé par Emmanuel Macron en octobre 2021, entend ainsi remédier à cette tendance de fond et permettra d’allouer pas moins de 30 Mds€, sur cinq ans, à la compétitivité industrielle et à l’innovation des nouvelles technologies.

L’effort est nécessaire. Et à saluer. Mais un tel projet ne saurait aboutir sans que les politiques français prennent pleinement conscience de ce qui se joue à l’échelle européenne en matière de propriété intellectuelle (PI).

Car, c’est précisément en vue de renforcer les droits de PI, et donc la protection de l’innovation, que le brevet unitaire et la juridiction unifiée du brevet (JUB) ont été pensés. Ces deux projets, qui devraient voir le jour fin 2022 ou début 2023, visent respectivement à proposer une protection dans 25 États membres de l'UE par le biais d'une seule demande de brevet et à unifier le contentieux des brevets en Europe. Et le Conseil européen de souligner dès 2019 : « le lancement du système de brevet unitaire devrait permettre d'attirer l'innovation, les talents et les investissements et de les retenir ».

Une raison suffisamment valable pour que la France se saisisse pleinement des enjeux. D’autant plus que les répercussions pour Paris – qui accueillera la division centrale de la JUB – devraient être nombreuses.

Une manne économique

À commencer par les retombées économiques. Ainsi, dans une précédente étude, le Royaume-Uni estimait percevoir environ 1,88 Md€ de revenus annuels directs et indirects grâce à la localisation d’une des divisions de la JUB dans la capitale britannique.

Certes, en raison du Brexit, les plans ont été quelque peu modifiés. Le Royaume-Uni s’est, depuis, retiré du projet. Pour autant, les données avancées outre-Manche restent toujours d’actualité. Et si l’on dresse une comparaison avec l’office européen des brevets (OEB) qui rapporte 4,3 Mds€ à l’économie bavaroise chaque année, il n’est pas déraisonnable de penser que Paris puisse tirer des revenus annuels de l’ordre de 2 Mds€ grâce au siège de la JUB.

Même constat du côté de la création d’emplois. Grâce à l’office des marques et des dessins et modèles communautaires (EUIPO), la ville d’Alicante emploie environ 2200 personnes. Mais, au-delà des emplois directs, c’est toute la région de Valence qui bénéficie de cet ancrage avec 3000 emplois indirects.

Ambitions mondiales

Pour autant, la vraie valeur de la JUB ne saurait résider dans des données purement économiques. Celle-ci trouve en réalité son ancrage dans un dessein beaucoup plus grand pour la France : celui de sa place dans la propriété intellectuelle européenne, voire mondiale.

Car, à l’heure où les actifs immatériels, dont les brevets sont une partie conséquente, représentent toutes activités confondues 65 % de la valeur des entreprises françaises, l’hexagone a toute légitimité dans ce domaine.

Reste à savoir quels seront les effets de la JUB ?

Tout d’abord, la création d’une instance unique contribuera à faire de la France le « hub » européen de la propriété intellectuelle. Là où la validité des brevets et leur contrefaçon restent actuellement appréciées par les juridictions nationales – entraînant ainsi de potentielles décisions contradictoires – le système unifié offrira une sécurité renforcée aux titulaires de brevets et aux tiers.

En se dotant d’un guichet unique de l’innovation, avec une mise en commun de moyens et une coordination renforcée via un écosystème structuré et représenté au plus haut niveau politique, Paris fera donc office de place centrale où se jouera le devenir du contentieux des brevets à l’échelle européenne.

Mais au-delà des frontières de l’Europe, c’est bien au niveau mondial que la propriété intellectuelle doit être pensée. Alors que les États-Unis, la Chine, la Corée du Sud et le Japon travaillent déjà sur des hubs régionaux ayant vocation à devenir des références mondiales, notamment en matière de contentieux de brevets, la JUB permettra à l’Europe de répondre à ces actions offensives. Et à la France de se positionner au rang des grandes places de la propriété intellectuelle, devenant elle-même une puissance en la matière.

Pour l’heure, tout reste à faire. Le brevet unitaire et la JUB devraient voir le jour d’ici quelques mois. Il restera alors à nos représentants politiques d’insuffler l’élan nécessaire à cette nouvelle instance, en mettant à sa disposition des moyens matériels d’envergure pour que son aura puisse servir la place de Paris et l’hexagone.