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Gouvernance d’entreprises : vers de nouveaux équilibres

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Mardi 30 novembre 2021, la LJA et NextStep ont organisé, à l’Automobile Club de France, un événement consacré à la gouvernance d’entreprise. Une après-midi d’échanges entre speakers prestigieux pour débattre sur les nouveaux équilibres nécessaires à la gouvernance pour être efficace et agile.

La gouvernance d’entreprise, c’est l’art de prendre des décisions dans le respect des règles ou des statuts de l’organisation, tout en ayant en tête l’horizon. Elle s’adressait hier principalement aux grandes entreprises, elle s’étend aujourd’hui à des entreprises patrimoniales, des mutuelles, des coopératives, des start-up… C’est d’abord une affaire de comportements professionnels et éthiques de la part de ceux qui contribuent aux systèmes de direction et de contrôle de l’entreprise. Avec au premier plan, les administrateurs.

Un modèle collaboratif et vertueux

Pour débuter l’après-midi de débats, la gouvernance a été abordée sous un angle collaboratif. La première conférence plénière rassemblait Christophe Vinsonneau, associé du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, Véronique Di Benedetto, vice-présidente d’Econocom, Paul Hermelin, président du conseil d’administration de Capgemini, Denis Terrien, président de l’IFA, et Patrick Bertrand, COO de Holnest et président du comité gouvernance des entreprises du MEDEF. Denis Terrien a commencé par donner la définition du terme « gouvernance » apparu entre le XVIe et le XVIIe siècle et rappelé quels étaient les rôles essentiels de celle-ci selon les recommandations de l’IFA. Dressant le constat que, de nos jours, la gouvernance d’une entreprise était devenue « la marque de celle-ci », les intervenants ont débattu de la façon de créer de la valeur grâce à la gouvernance. « Pour créer de la valeur avec la gouvernance, les administrateurs doivent challenger le CEO », estime Paul Hermelin. Attention cependant à bien respecter le rôle de chacun, avertit Denis Terrien, qui considère que même si actionnaires et dirigeants doivent collaborer, « chacun doit rester dans son rôle et le CA ne doit pas s’immiscer dans la gestion de l’entreprise ». Pour Patrick Bertrand, une bonne gouvernance demande du courage : « Le courage du dirigeant qui accepte d’être challengé et le courage des administrateurs qui doivent être indépendants. » Il déplore que la gouvernance soit trop souvent abordée comme un corpus de règles au détriment de la substance. « C’est avant tout un état d’esprit, une attitude par rapport une situation donnée. » Il estime que tous les mots à la mode actuellement employés comme ceux de transparence, de collaboration, de communication, se retrouvent dans le concept de loyauté. Véronique Di Benedetto considère qu’un véritable process doit être engagé pour faire de ces concepts une réalité. Elle se demande cependant jusqu’où doit aller la transparence. « On en a tellement rajouté sur la transparence qu’à force de vouloir laver plus blanc que blanc, on publie des prospectus de 400 pages que plus personne ne lit », renchérit Christophe Vinsonneau. Les panelistes ont également débattu du dialogue avec les parties prenantes, estimant que l’assemblée générale doit rester le moment privilégié du dialogue avec les actionnaires. Prendre à partie les administrateurs individuellement est irrespectueux de la collégialité inhérente au CA.

Est-il pertinent de tout mettre à l’ordre du jour des assemblées générales ? À propos du say on climate, par exemple, le Forum pour l’investissement responsable a réclamé aux entreprises du SBF 120, en septembre dernier, deux votes annuels sur la politique climat des entreprises : un sur la stratégie, un autre sur la mise en œuvre de cette stratégie. Véronique Di Benedetto dit être contre le vote en AG sur la trajectoire carbone. « C’est extrêmement compliqué de faire voter cela par des actionnaires. » Et Denis Terrien, provocateur, de lancer : « Une société anonyme n’est pas une démocratie participative. » Pour Patrick Hermelin, « la pression ESG existe, quoi qu’il en soit, et faire voter des résolutions en AG ne sert à rien. Je suis opposé à ce qu’on multiplie les "say on" qui ne vont pas créer de valeur ». Les intervenants font valoir que les dirigeants sont très sensibles au risque réputationnel, devenu aussi important, sinon davantage, que le risque juridique. Pour Christophe Vinsonneau, le board doit rester maître de la stratégie et la définir. « Si les actionnaires ne sont pas d’accord, qu’ils changent le board », dit-il.

Les fonds activistes, préoccupation majeure

Après cette première plénière très dense, les participants ont enchaîné avec cinq ateliers en groupe plus restreints, consacrés au rôle de l’actionnaire, à la gouvernance des groupes familiaux, à la montée en puissance des fonds activistes, à l’engagement et la responsabilité accrue du dirigeant – animé par Hubert Segain, associé du cabinet Herbert Smith Freehills – et enfin à sa responsabilité pénale, thème porté par Kami Haeri, associé de Quinn Emanuel. Dans chacun, la question de la position des fonds activistes a été abordée. Notamment dans le premier atelier durant lequel, après la présentation par Pascal Bine, associé du cabinet Skadden, des quatre typologies d’actionnaires suivant leur implication dans l’entreprise, Martin Vial, commissaire aux participations de l’État, a dressé le portrait de l’actionnaire étatique « patient, attentif et sans horizon de rotation de portefeuille », assurant que la présence de l’État parmi les actionnaires pouvait, dans bien des cas, freiner les velléités de certains fonds activistes négatifs. À cet activisme négatif peut d’ailleurs être opposé une forme d’activisme vertueux, qui a pour ambition de pousser les entreprises à se transformer et à progresser dans leur gestion, avec pour horizon la prise en compte des parties prenantes et la transition vers un monde plus durable. Le deuxième atelier, relatif aux questions de gouvernance familiale a abordé la question sous le prisme du nouveau guide de l’IFA, avec l’éclairage de Pierre Mudet, associé du cabinet Ginestié Magellan Palley-Vincent. En parallèle, dans le cadre d’un troisième atelier, Diane Lamarche, associée du cabinet White & Case, Anne-Sophie d’Andlau, cofondatrice de CIAM, Olivier Boulon, adjoint au directeur des affaires juridiques et responsable du pôle opérations et informations financières de l’AMF, et Nicolas Huet, secrétaire général et membre du directoire d’Eurazeo, ont débattu de la question de la montée en puissance des fonds activistes, qui raisonne comme un changement de paradigme en France. A d’abord été évoquée la difficile définition de la notion de l’activisme. Sur tous les rapports consacrés au sujet, seul celui de l’Afep s’est risqué à définir l’activisme, en établissant un faisceau d’indices. Des critères qui demeurent trop flous, selon Olivier Boulon. « Il n’y a pas de définition de l’activisme car il s’agit avant tout d’un comportement observé ces derniers temps qui, à mon sens, est déjà encadré largement par la réglementation », souligne Diane Lamarche. Pour Nicolas Huet, un « bon » activiste doit être actionnaire, c’est-à-dire être exposé économiquement, et agir dans l’intérêt social de l’émetteur et en conformité avec celui de la cible – ce qui n’empêche pas d’être en désaccord sur ce qu’est l’intérêt social, notamment la stratégie –, et enfin respecter les règles, avec des abus réprimés par les autorités et juridictions. Ont donc logiquement été examinés les comportements excessifs à proscrire. « C’est évidemment tout ce qui relève de l’abus de marché et des condamnations en responsabilité, souligne Olivier Boulon, évoquant à titre d’illustration un arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 septembre dernier dans lequel un actionnaire minoritaire a été condamné à un dédommagement pour harcèlement. La zone grise, qui engendre le plus de débats, porte sur les comportements qui seraient déstabilisateurs pour les émetteurs, pouvant entraîner une chute du cours. » Pour l’associée de White & Case, les divers rapports consacrés à l’activisme auraient permis de remettre en question le système français et d’en conclure que la France avait toutes les armes pour y faire face. Et Anne-Sophie d’Andlau, qui compte une quinzaine de campagnes activistes à son actif, de souligner que l’application de toutes les recommandations des rapports dédiés à l’activisme auraient pour effet de museler l’actionnaire en l’empêchant de s’exprimer à haute voix.

Renouveler les CA

La journée s’est terminée par une plénière consacrée au renouveau du conseil d’administration, au cours duquel Yannick Piette, associé du cabinet Weil, Gotshal & Manges, Carol Xueref, présidente du comité des nominations d’Ipsen et du comité des nominations et rémunérations d’Eiffage, et Audrey Ménassé, directrice gouvernance et droit des sociétés de Danone, ont débattu des nouveaux visages des CA. Yannick Piette a souligné que « l’équilibre dans la composition des conseils d’administration reposait sur la complémentarité des profils », indiquant observer, en ce moment, une double tendance : la montée des profils industriels et une forme de délaissement des profils internationaux. Audrey Ménassé a fait part à l’auditoire de son retour d’expérience à la suite du remplacement, en juillet dernier, de l’intégralité du conseil d’administration de Danone, après avoir remercié le PDG dans des conditions pour le moins rapides. Elle participe aujourd’hui aux recherches de profils pour composer le nouveau CA. « Il faut certes des compétences, des femmes, mais il faut aussi que concrètement, les administrateurs puissent fonctionner ensemble, observe-t-elle. La personnalité des administrateurs est à cet égard un sujet d’attention. » Carol Xueref a noté pour sa part « l’apparition depuis quelques années de professionnal board members, qui accumulent parfois quatre ou cinq CA en même temps, ce qui leur permet de quitter le salariat tout en restant dans la vie active ». Mais de s’interroger sur le temps qu’ils peuvent efficacement consacrer à chacun de leur mandat. D’autant que ces derniers mois, entre le contexte inédit lié à la pandémie mais également à une succession d’opérations boursières importantes, le nombre de réunions des conseils a significativement augmenté. Le conseil d’administration est entré dans une ère très active, voire activiste.

Véronique di Benedetto gouvernance d'entreprise Christophe Vinsonneau