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Contexte, bilan et perspectives des dernières évaluations internationales anticorruption

Par Caroline Goussé (conseillère juridique pour la Direction de la diplomatie économique, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et Vincent Filhol (magistrat, chargé de mission auprès du directeur des affaires juridiques pour les affaires civiles et pénales internationales, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères).

Tandis que plusieurs lois de 2013, ainsi que la loi Sapin 2 – portant création de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), du Parquet National Financier (PNF) et de l’Agence française anticorruption (AFA) - ont fortement développé l’arsenal français anti-corruption, un ensemble d’évaluations internationales, intervenues récemment et de manière presque concomitante, ont été autant d’occasions d’obtenir un regard extérieur sur ces réformes majeures, et qui s’inscrivent en parallèle de l’émergence de nouveaux standards en la matière.

Depuis un certain nombre d’années, plusieurs institutions internationales ont mis en place des mécanismes de revue régulière par les pairs en matière de lutte contre la corruption, les évaluations ainsi réalisées aboutissant à la formalisation de recommandations.

Le monitoring ainsi exercé est un gage de crédibilité des conventions internationales s’appliquant aux États, ces derniers devant justifier et convaincre les instances de leur bonne application. Ils ont un intérêt évident à obtenir des évaluations positives et de démontrer la mise en place d’un système crédible en matière d’anticorruption. Qui plus est, une telle appréciation participe de leur attractivité juridique et économique. Faut-il le rappeler, la corruption sape autant les fondements de l’État de droit que la compétition saine entre acteurs économiques. Dans le cadre de ces différentes enceintes, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), en lien avec les autres ministères concernés, promeut les intérêts de la France pour les procédures d’évaluation, écrites et orales, dont elle fait l’objet.

La délégation française est en outre régulièrement sollicitée pour évaluer à son tour d’autres États parties, apportant ainsi sa propre expertise en la matière. Par ce travail attentif de suivi et de coordination, le MEAE a une vision d’ensemble des évaluations de la France et des autres États et, ainsi, des meilleurs standards internationaux en matière de lutte contre la corruption. S’agissant de la France, ces évaluations récentes ont d’abord été menées par deux institutions ayant un cadre de référence assez large, qui entend l’incrimination de corruption dans une très large acception du terme et cible la corruption publique comme privée, ainsi que les aspects préventifs et répressifs des dispositifs. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) se fonde sur la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003 (Convention de Merida) pour évaluer les États parties. Le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), créé par le Conseil de l’Europe en 1999, réalise des évaluations thématiques des États membres en s’appuyant sur un ensemble de normes, dont la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe. En outre, la France a également été évaluée au cours de l’année 2021 par le groupe de travail sur la corruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui coordonne le suivi de la bonne application de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée en 1997, limitée à l’incrimination de corruption active d’agent public étranger.

Comme cela a été rappelé à l’occasion de leurs publications respectives ces derniers mois, les différents rapports d’évaluation de la France offrent des analyses transversales et complémentaires de notre dispositif anticorruption, en ce qu’ils portent respectivement sur la prévention et la lutte contre la corruption s’agissant des juges et procureurs, des parlementaires et des hautes fonctions du pouvoir exécutif (GRECO), sur les mesures préventives de lutte contre la corruption ainsi que le recouvrement des avoirs issus de la corruption (ONUDC) et, enfin, sur l’application concrète de l’incrimination de corruption d’agent public étranger (OCDE). Ces rapports saluent l’évolution positive du droit français dans plusieurs aspects de la lutte contre la corruption et sont, dans l’ensemble, bien meilleurs que ceux rendus à l’occasion d’évaluations passées, étant rappelé qu’ils ne constituent qu’une première étape d’un processus de suivi à brève échéance. Au-delà des conventions internationales dont elles veillent à la bonne application, les enceintes internationales de lutte contre la corruption produisent également, à un rythme inégal, une multitude de règles, standards, principes et autres engagements de droit souple dont l’orientation thématique traduit la divergence des priorités nationales et le jeu politique de leurs États membres.

Il en est ainsi, par exemple, des principes de haut niveau adoptés annuellement, ou presque, par le groupe anticorruption du G20, des résolutions de la Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption ou des lignes directrices et recommandations publiées par le GRECO et le Conseil de l’Europe. Leur application effective – qui reste évidemment l’objectif premier de leur adoption – n’est pas examinée avec la même rigueur que les dispositions des conventions précitées, même lorsque des mesures de suivi ont été mises en place. Même à réduire ces instruments à des textes essentiellement déclaratifs, il n’en demeure pas moins qu’ils révèlent l’évolution d’une conscience internationale en matière de lutte contre la corruption, qui donne l’impulsion à l’adoption de normes juridiques contraignantes. Dans la définition et la conduite de ces travaux internationaux, l’action de la France et du MEAE est d’abord fonction des champs thématiques, évoqués ci-avant, des différentes enceintes : les enjeux économiques de la lutte contre la corruption – notamment de concurrence équitable – ont, jusqu’à présent, davantage été examinés dans les enceintes dont l’objet même est la réunion des grandes économies mondiales que sont l’OCDE et le G20. Notons ici toutefois que l’incrimination de la corruption d’agents publics étrangers en droit national n’est pas seulement un engagement des États parties à la Convention de l’OCDE, mais une obligation faite aux 189 parties à la Convention de Merida, au titre de son article 16, comme le rappellent aussi régulièrement les membres du G20.

La prise en compte et la réparation du préjudice subi par les victimes de la corruption, en revanche, est un sujet principalement abordé dans l’enceinte onusienne. Le terme de « victime » est d’ailleurs utilisé ici dans un sens bien plus large qu’en droit pénal ; en ce sens, il renvoie notamment, outre les parties civiles, aux populations des États.

Le droit français a d’ailleurs renforcé récemment la place accordée à ces victimes, comme en témoignent la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, prévoyant la restitution des recettes provenant de la cession des biens mal acquis « au plus près des populations des États étrangers concernés », ou encore les dispositions de la loi n° 2021- 41 du 8 avril 2021 permettant l’affectation sociale des biens confisqués. Les travaux de ces différentes enceintes se rejoignent de plus en plus, au risque de se dupliquer parfois, mais ouvrant la voie à de nouvelles stratégies pour la France et ses affinitaires dans la promotion internationale de certains standards. La lutte contre la corruption passive, l’approche par le genre ou la promotion de l’utilisation de technologies de l’information et de la communication dans la lutte contre la corruption sont des thématiques d’intérêt croissant, non plus seulement dans l’enceinte onusienne et au G20, mais aussi au GRECO et à l’OCDE. L’enjeu d’une plus grande sensibilisation et formation des agents publics aux risques de corruption, celui des données relatives aux bénéficiaires effectifs des personnes morales et de leur accès, ou encore d’une coopération internationale renforcée sont ainsi l’objet des derniers travaux de l’ensemble, ou presque, des enceintes internationales spécialisées. L’action de la France est également menée en fonction de la composition géographique de ces enceintes et des rapports de force qu’elle induit entre les États membres, nourris de leurs relations économiques et politiques. La lutte contre la corruption est, ne serait-ce que dans cette mesure, autant géopolitique que juridique. Le conflit engagé par la Russie en Ukraine a d’ailleurs, à cet égard, rebattu les cartes des affinités et antagonismes dans les différentes enceintes internationales de lutte contre la corruption. Il a aussi révélé que des mesures telles que la saisie d’avoirs illicites – voire leur possible réaffectation à la suite d’une confiscation – ne sont pas seulement centrales pour une lutte plus efficace contre la corruption, mais un outil de réponse à des enjeux plus globaux.