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Mock trial : de la fiction à la réalité

Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires N°55 - Juillet/Août 2018

Appelée faux procès, mock trial ou encore simulacre de procès, cette technique d’entraînement fortement utilisée aux États-Unis consiste, pour l’une des parties et son conseil, à organiser un procès factice en amont, de manière à parer à toute éventualité lors de l’audience. Elle commence à se démocratiser en France. Enquête.


«L’avocat ne recevra les conclusions de la partie adverse que quelques heures avant sa plaidoirie, il doit donc anticiper le plus possible les arguments du parquet et de la partie civile », explique Valérie Munoz-Pons, counsel spécialisée en droit pénal des affaires chez Quinn Emanuel. La préparation minutieuse de l’audience est l’un des gages de succès du dossier. C’est pourquoi le cabinet vient de lancer son Academy et ses Masterclass, un programme destiné aux membres des directions juridiques et aux jeunes avocats pour faciliter leur prise de parole en public et les familiariser avec la plaidoirie pénale, commerciale, à l’arbitrage, ainsi qu’aux procédures d’examination et de cross examination.

De nombreux cabinets entraînent désormais leurs clients de manière informelle, en organisant une répétition dans leurs locaux. Kiril Bougartchev, fondateur du cabinet Bougartchev Moyne Associés, leur conseille, par exemple, d’assister à des audiences de la même chambre que le litige en cours pour les familiariser avec le décorum et avec la procédure. D’autres cabinets vont même plus loin, en mettant en scène un procès factice sur un dossier qui est, quant à lui, bien réel. « Le mock trial est un formidable outil de préparation qui permet de tester un argumentaire pour savoir de quelle manière il est perçu par des personnes extérieures au litige », témoigne Didier Malka, associé du cabinet Weil, Gotshal & Manges. La pratique provient des États-Unis et est principalement utilisée en contentieux des affaires, ainsi qu’en arbitrage international. « Le mock trial est d’une véritable utilité pour l’avocat et son client, particulièrement lorsque celui-ci intervient à l’audience », reconnaît Jean-Yves Garaud, associé de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton.

Une pratique devenue française

« En France, le mock trial est moins scénarisé qu’aux États-Unis où il se pratique de manière formelle, explique Jean-Yves Garaud qui reconnaît avoir assisté à trois simulations dans sa carrière. Cet entraînement se déroule généralement dans des salles de réunion du cabinet, contrairement aux États-Unis qui louent, la plupart du temps, des locaux à cet effet ».

Durant cette audience factice, chaque partie est représentée par un avocat, même si dans les faits, seule l’une d’elles est concernée par l’entraînement. Les juges sont quant à eux, le plus souvent, des magistrats à la retraite. « Ce rôle est parfois joué par des professeurs ou des avocats, mais l’approche du dossier est alors différente de celle d’un véritable tribunal, estime Didier Malka. Le plus important étant d’obtenir un regard neuf et extérieur au dossier ». Tous reçoivent les pièces et documents complémentaires une quinzaine de jours avant « l’audience » pour s’y préparer. Et le jour J, le mock trial se déroule en conditions bien réelles. Les magistrats écoutent les plaidoiries et les réponses aux questions posées par le tribunal. Ce dernier fait ensuite connaître son délibéré et les motifs de sa décision, sans qu’un jugement écrit ne soit toutefois requis. Enfin, les magistrats livrent leurs impressions et leurs conseils aux parties. « Ils nous font part de la manière dont ils ont ressenti nos arguments et précisent ceux qui n’ont, par exemple, pas été suffisamment mis en avant, poursuit l’associé de la firme américaine. Les échanges s’effectuent dans le secret du délibéré ».

Préparer pour mieux anticiper

Nathalie Roret, co-fondatrice du cabinet Farthouat Avocats, se rappelle : « lors d’une simulation qui s’est déroulée dans les locaux d’un cabinet anglo-saxon pendant deux jours, l’ambiance fut déstabilisante, de manière à mieux préparer l’audience à venir. Tout le monde a réellement joué le jeu ». Le dossier mettait en cause une société américaine devant le tribunal correctionnel pour des faits de pollution industrielle ayant entraîné des blessures et des homicides involontaires. L’enjeu, pour l’avocate, consistait à démontrer que les expertises techniques, c’est-à-dire le nettoyage de tours aéroréfrigérantes, avaient correctement été réalisées. Évoquant l’aléa judiciaire aux magistrats, l’un d’entre eux lui avait répondu : « Vous ne devez jamais être surprise lors du procès, ni durant sa préparation. Rien ne doit être laissé au hasard ».

Hamid Gharavi, associé de Derains & Gharavi International, a joué le rôle d’arbitre dans un dossier lié à l’expropriation par un État d’un complexe industriel. « Le client était stupéfait lorsqu’il s’est rendu compte de certaines faiblesses du dossier que nous avons identifiées à l’issue du mock trial, raconte-t-il. Cette prise de conscience l’a d’ailleurs rendu plus enclin à s’orienter vers un accord transactionnel ». C’est aussi l’un des avantages de ces préparations : s’assurer que le client comprenne les points forts et les points faibles de son dossier. Et Jean-Yves Garaud d’ajouter : « Lorsque la performance est inadaptée, en raison de la personnalité ou du comportement du représentant de la personne morale, le mock trial permet de réfléchir à la personne adéquate pour le véritable procès ».

Les clients sont souvent à l’initiative de la pratique, surtout en arbitrage. Les étrangers, notamment anglo-saxons, en sont d’ailleurs très friands. « Les propos du client sont déterminants lors de l’audience, explique Philippe Goossens, associé d’Altana. L’organisation d’un mock trial leur permet de ne pas être déstabilisés par le lieu, la scénographie et les questions du tribunal ». Cette mise en situation leur apporterait une vision réaliste du rythme du procès, leur conférant une certaine assurance. Attention toutefois à ce que le client ne soit pas trop préparé, de manière à ce qu’il ne réponde pas machinalement aux questions lors de la véritable audience. « Les risques sont minimes en raison de l’aléa judiciaire, tempère cependant Philippe Goossens. Aucun procès ne se déroule de manière identique à la préparation ».

Dans certains dossiers, notamment en contentieux commercial et en droit pénal des affaires, c’est le cabinet lui-même qui peut être à l’initiative de cet entraînement. Avec pour objectif de permettre à l’avocat de définir une ligne stratégique. « Cette pratique apporte un éclairage au dossier pouvant faire ressortir ses faiblesses apparentes, explique Éric Teynier, co-fondateur du cabinet Teynier Pic. Elle permet également de valider la pertinence des arguments et de vérifier si le temps imparti aux plaidoiries est respecté ». L’avocat peut également obtenir un aperçu des arguments de la partie adverse. « L’exercice est fait pour anticiper autant que possible l’imprévu », résume l’associé qui a participé à deux simulacres de procès. La première fois, en tant que conseil, lors d’un litige lié à une contestation de brevet, et la seconde, en qualité de juge, lors d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale. « Il ne s’agit pas d’une pratique usuelle, je n’ai pris part qu’à deux simulacres de procès en trente ans de barre », tempère-t-il.

Aussi utile soit elle, cette mise en scène a néanmoins un coût. « Entre la préparation du dossier, l’organisation et le déroulé de l’audience, cette pratique nécessite du temps et a un certain coût, poursuit Éric Teynier. Elle ne doit donc être utilisée que lorsque l’enjeu financier du dossier le justifie ».

La rémunération des juges et des avocats serait conséquente. Mais, pour la majorité des spécialistes, le montant serait justifié par la difficulté de l’exercice et la complexité des dossiers. « La critique est facile, l’art est difficile, estime Philippe Goossens. Il n’est pas aisé, voire impossible, pour un tiers, de mesurer le travail préalable à l’audience ». Éric Teynier ajoute : « Il n’existe pas un marché de la tarification de cette prestation atypique ». En matière arbitrale, l’organisation de ces mock trials coûterait plus d’une centaine de milliers d’euros. « La demande provient de clients sophistiqués sur des dossiers avec des enjeux importants », indique, à son tour, Hamid Gharavi.

La naissance du mock custody

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David Père en pleine séance de mock trial

Face à la pénalisation croissante du monde des affaires, la pratique commence à s’imposer en droit pénal. David Père, counsel chez Bryan Cave Leighton Paisner, propose à ses clients, en cas de convocation pour des affaires politiques, financières ou simplement par prévention, une formule quelque peu originale. « Une garde à vue est intrusive et peut avoir des répercussions sur un poste, la survie de l’entreprise, voire un couple ; il est donc primordial d’y être préparé, indique-t-il. Chaque mot prononcé peut impacter significativement la durée ou le résultat de l’enquête, ainsi que la valeur des actions et la réputation de l’entreprise. On se prépare dans le détail à une assemblée générale ou un comité d’entreprise ; il faut y mettre le même sérieux dans la préparation d’une audition par les services de police ». Dans des locaux décorés pour l’occasion, l’avocat entraîne pendant une journée des dirigeants, des directeurs juridiques, des membres du board et autres représentants de sociétés, avant d’effectuer un débriefing, tant sur la forme que le fond, puis de détruire les documents sous leurs yeux. Le premier conseil fourni au client serait de ne jamais accepter immédiatement le créneau de garde à vue proposé par les officiers de police judiciaire (OPJ). Leur expliquer qu’une consultation d’agenda est nécessaire lui permettrait de savoir si son avocat est disponible à cet horaire et, si ce n’est pas le cas, de trouver un créneau commun.

Les clients seraient assurés d’acquérir une certaine tournure d’esprit lors de l’exercice. « Après avoir assisté à cet entraînement, les suspects potentiels dédramatisent et comprennent les véritables enjeux de la garde à vue, précise-t-il. Il ne s’agit surtout pas d’apprendre par cœur et de réciter, comme un robot, les éléments à répéter lors de la véritable garde à vue, il n’y aurait pas d’exercice plus dangereux ». L’objectif de cet entraînement est donc de leur faire comprendre le choc et le stress qu’une garde à vue peut générer, ainsi que la tactique la plus souvent utilisée par les enquêteurs pour jouer avec les craintes des suspects. Les OPJ seraient, par exemple, doués pour faire croire aux gardés à vue qu’ils disposent de certains documents compromettants, alors qu’il n’en serait rien en réalité. Ils poseraient également des questions de manière naïve, pour les mettre en confiance et les inciter à se livrer. A contrario, les suspects estimeraient souvent, à tort, que coopérer avec les enquêteurs leur servirait. Et, épuisés moralement et physiquement après 48 heures de garde à vue, ils auraient tendance à avoir la main légère sur la signature de documents. Une erreur.

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